Lettre ouverte à Boubounia : Ma Pologne Imprimer
Écrit par Flol   
Samedi, 22 Mai 2010 11:53

Première lettre après quatre mois dans ton pays de coeur : mon assiduité n'est vraiment pas à la hauteur de mon amitié. Et pourtant j'ai des choses à dire : mon stage, c'est six mois de travail, mais c'est surtout six mois d'immersion complète. D'ailleurs, avant chaque immersion, on retient un peu son souffle, par précaution : va-t-on supporter ? Suffoquer ? Asphyxier ? Se noyer ?
Non, depuis trois mois je respire en grand ; et tout en Pologne invite à se remplir les poumons pour peu qu'on ose prendre la première inspiration.

 

En fait la Pologne est une véritable « Terre du Milieu », tout droit sortie des descriptions de Tolkien. J'ai d'abord fait la découverte d'un immense pays plat et blanc jusqu'à l'horizon. Autour des champs, des lacs éparpillés par centaines ; et autour des lacs : des épaisses forêts de feuillus et des bosquets de résineux. En pénétrant chaque forêt, on se remet à croire à la magie : les rayons de soleil dispersés y laissent apparaître des formes étranges, l'humus fait flotter dans l'air une odeur lourde et âpre, tout droit sortie du chaudron d'un druide.

Depuis quelques semaines, comme en Comté, tout est vert : la campagne comme les forêts. Les sentiers forestiers reculés sentent la résine et l'herbe grasse. Tout donne l'impression de retrouver des espaces authentiques, qui ont traversés les temps sans subir les affres de l'Histoire des petits Hommes.

 

Et en terme d'Histoire, rares sont les pays qui ressemblent autant à cette « Terre du Milieu » de Tolkien. J'ai beau avoir été assidu en cours d'Histoire, ce n'est que sur place que l'on prend conscience de la réalité des péripéties polonaises. Enclume fière encerclée des trois marteaux Allemand, Austro-Hongrois et Russe, les souvenirs des cicatrices plus ou moins lointaines sont encore perceptibles dans les paysages, dans les souvenirs, dans les arts. Mais c'est toujours avec un détachement touchant que les polonais évoquent les tragédies de leur Histoire.

Quelle fierté d'avoir été capable de renaitre de ses cendres à chaque fois ! Même si aucun des polonais que j'ai rencontré ne porte Varsovie dans leur coeur, la ville n'en reste pas moins un symbole de résurrection. Après avoir été reconstruite à l'identique avec les décombres de la guerre, la vie grouillante et le bien-être qui se dégage de la « vielle ville » sont de véritables miracles.


La Pologne est « Terre du milieu » également pour le coeur médiéval qui continue de battre dans certaines villes. Impossible de ne pas s'imaginer gueux du Moyen-Age devant la Forteresse de Malbork, ou marin de la Baltique déambulant de taverne en taverne sur les bords de la Motława à Gdansk.

Et que dire de Cracovie ? Ville de lumières intellectuelles, qui partout fait l'apologie des arts, des sciences et imprégnée de multiples cultures. La musique est partout, depuis le haut de l'église Mariacki, jusque dans les moindres recoins des centaines de bars de la ville. Et que font tous ces gens avec des instruments de musique à la main ? Jusqu'au fond des galeries de sel de Wieliczka résonnent les orchestres de la ville.


La Pologne est aussi un pays sévère, exigeant, où les plaisirs se méritent : la potée de Zemniaki récompense celui qui a bravé les rudesses de l'hiver ou l'humidité du printemps ; partir à la découverte d'une ville se paie en (longues) heures de trajet et la Wodka récompense le dur labeur d'une semaine de travail. D'ailleurs, bien que chargée en alcool, la wodka locale désinhibe bien moins que la chaleur des bars où on la déguste na lodzie.

Et que dire de de la mine de sel de Wieliczka ? Véritable ville-musée souterraine, sanctuaire peuplé de personnages qui traversent les âges ; difficile de croire qu'elle n'a pas influencé l'imaginaire de Tolkien lorsqu'il a décrit les mines de la Moria.

Alors dans cet univers onirique, où placer les polonais ? Seraient-ils un peuple de tailleurs de pierre ? La carrure des hommes tend à le faire croire, mais leurs yeux clairs et leurs cheveux dorés trahissent une lignée d'elfes. Par la chaleur de leur accueil et leur tendance aux festivités, ils feraient de bons hobbits, sans aucun doute.

 

Mais la Pologne est bien réelle. Savant mélange d'une longue histoire aux ingrédients hétéroclites ; cuisine de racines historiques dont j'apprécie particulièrement l'authenticité du goût.

Après trois mois d'immersion, je comprends pourquoi six mois ne sont pas de trop pour faire connaissance avec le pays. Lorsque, dans un bureau parisien, un chargé de recrutement m'a proposé la Pologne, j'ai donné ma réponse en trois petites secondes, juste le temps de me rappeler ce que tu m'en avais dit. Donc si je suis ici depuis presque quatre mois, c'est beaucoup grâce à toi, et pour ça, Dziękuję.