2012.10.07 - À l'assaut de la Bocaina

La Bocaina, c'est une barre montagneuse située à 30km Sud-Ouest de Resende. Cette zone montagneuse culmine à plus de 2000m d'altitude et abrite un parc Naturel (Parque Nacional da Serra da Bocaina) réputé pour ses randonnées et ses cascades. Vu depuis Resende, la Serra da Bocaina est aussi la porte d'accès à la mer : en passant de l'autre côté de la montagne, la route descend vers la côte et débouche en face d'Ilha Grande, sur la route BR101 (Rota do Sol) qui longe les plages de Rio à Santos.

L'idée, ce matin, ce n'est pas d'aller jusqu'à la mer à vélo, mais d'escalader à vélo la chaine de montagne de la Bocaina pour entrer dans le parc naturel et trouver une cascade, dont on a entendu dire qu'elle valait le détour.
Le détour, pour nous, ce sera un aller-retour d'environ 120km, avec une grosse ascension au milieu. Un coup de folie? Pas vraiment : le guide de cette sortie, c'est Mitxel (dit "Le Basque"), qui a déjà fait 3 repérages de la piste. Mais il n'a jamais atteint le haut de la montagne et il lui manque donc les 20 derniers kilomètres de la rando.
Ce dimanche matin, Jon et moi venons en renfort pour découvrir les trésors de la Serra da Bocaina.

Carte de la zone
Centre-haut : Resende
Centre : Serra da Bocaina (la chaine de montagne descend jusqu'à la mer)
À droite : Rio de Janeiro
Ouest de Resende : Parque Nacional d'Itatiaia (terrain de jeu déjà présenté ICI, ICI et )

Les 25 premiers kilomètres de la rando sont archi-connus : j'ai du les emprunter une bonne dizaine de fois sur d'autres parcours. Dans la relative fraîcheur matinale (il doit faire 25°C à 8h30), nous profitons tous les trois du calme de la vallée pour échauffer doucement notre coup de pédale.

Départ sous le soleil
Le chemin est connu : ça roule tout seul!

Aujourd'hui, il ne s'agit pas de boucler un circuit de 27km en moins d'1h00, ou de terminer 50km en moins de 2h00 : il faut atteindre un objectif...et revenir!
Si cascade est à 60km de Resende, comme l'indique le GPS de Mitxel, il faut prévoir assez de forces pour rentrer à la maison, après un trajet de 120km! La priorité est donc d'économiser l'énergie, d'éviter tout ce qui fatigue : les chocs, les freinages d'urgence, les accélérations inutiles, les efforts violents dans les côtes...il faut penser au retour et pas seulement à l'objectif : pas facile de trouver son rythme!

En mode "ahorro de energia" (Économie d'énergie)
Comme le dit notre ami Basque : il faut se mettre en mode "Eco" pour espérer arriver en haut de la Bocaina (et revenir!).

L'excitation était de mise en sortant de Resende, vers 8h30 : est-ce qu'on va y arriver? Où va-t-on faire des pauses?
J'ai déjà roulé plus de 200km sur route, mais jamais plus de 90km à VTT ; et en fonction du terrain chaque kilomètre à VTT peut valoir 1, 2 voire 3 kilomètres sur route. Je sais que je peux rouler 10h : notre cascade est un défi, mais pas une folie!
Ce matin c'est Jon qui roule en tête, tout droit vers la montagne. Je mouline derrière pour économiser mes cuisses et Mitxel, en queue, est concentré sur son "ahorro de Energia".

Jon en leader
Éco d'énergie, OK, mais faut que ça roule! Jon pédale...
(En fond : la montagne à "abattre" pour accéder à la Bocaina)

Road bike
Petit tronçon sur bitume avant d'arriver à Sao Jose do Barreiro

Après l'excitation du départ, nous sommes restés tous les trois très silencieux jusqu'à Sao Jose do Barreiro : j'imagine que mes deux comparses étaient, comme moi, en train de réaliser que chacun de nos kilomètres vers l'avant était un kilomètre de plus que nous allions devoir faire en retour. Chaque hectomètre descendu en roue libre devrait être remonté à la force du mollet dans quelques heures.
Je scannais mentalement chaque partie de mon corps pour vérifier que je faisais l'effort minimum, que je roulais avec le maximum de fluidité... Il y avait dans nos coups de pédale une appréhension palpable de l'effort et de la fatigue à venir. "Est-ce que je vais y arriver?" "Est-ce que je vais arriver à les suivre?".

Lorsque nous arrivons à Sao Jose do Barreiro, la tension retombe : c'est l'heure de l'avitaillement. Bananes, boisson sucrée, plein d'eau : nous sommes prêts pour quitter la route et attaquer la piste brûlante.

Sao Jose do Barreiro
Avitaillement obligatoire avant d'attaquer la Montagne.

Sao Jose est un petit village groupé autour de sa belle place principale. Le reste n'est que fazendas éparpillées dans la brousse. À 100m de la place principale, nous empruntons la route qui s'échappe vers l'Ouest : le bitume cède aussitot la place à une poussière orange vif : bienvenue sur la piste BR221!
Maintenant, nous ne pouvons plus nous tromper, il n'y a qu'une seule voie : c'est celle qui monte!

Premiers kilomètres en côte
À partir de maintenant, il n'y a plus que de la côte.

Toujours dans la côte, sans rien lâcher

L'ascension est dure : le chemin serpente avec un pente relativement régulière, entre 5 et 15%, mais nous sommes en plein soleil, et la montagne nous coupe le moindre souffle d'air. Après une heure d'ascension, nous sommes complètement asphyxiés!
Dans un moment de clairvoyance, Jon me dira : "est-ce qu'on est complètement dingues de tenter ça?". je n'ai pas répondu, peut-être parce je savais que ce n'était pas raisonnable... nous avons continué à rouler, juste pour voir.

Le décors, tout autour de nous, est grandiose ; et pas un instant nous ne doutons de la beauté de ce qui nous attend en haut de la côte. À partir de maintenant, c'est notre principal carburant.

En plein "cagnard" tropical, sans air
Pourquoi sommes-nous les seuls cyclistes sur cette route?

Après une grosse heure passée à rotir sur la piste découverte, nous entrons dans la forêt. Moins exposés au soleil, nous rencontrons une nouvelle difficulté : la pente de la piste s'accentue jusqu'à atteindre 25% en certains endroits. Rajoutez à cela la rocaille qui glisse sous les roues et les trous dans la route, et vous obtenez un cocktail parfait pour casser les jambes et le moral d'un cycliste.

C'est dans l'un de ces passages rocailleux que nous mettons tous les trois pied à terre pour la deuxième fois. Dégoulinants de sueur et à bout de souffle, nous avons les cuisses gonflées par l'effort des derniers kilomètres. On se regarde dans les yeux : "qu'est-ce qu'on fait?".
Il reste encore 15km jusqu'à la cascade : à ce rythme, c'est impossible! Il nous faudrait encore batailler pendant 2 heures!

Encore un peu?
Arrivée au point de vue : est-ce la fin?

Pour Jon et Mitxel, c'est plié : retour à la maison tant que les jambes le permettent encore.
J'hésite un peu, je ne m'étais pas préparé à continuer seul : je n'ai pas de carte, je ne sais pas où se trouve la cascade et je n'ai même pas de compteur pour savoir où j'en suis! Mais j'ai encore du jus dans les cannes et du temps avant la nuit. Je m'accorde encore 1h15 d'ascension en solo et ensuite, promis, je redescends sagement pour être à Resende avant la nuit.
Au kilomètre suivant, la pente est presque nulle et la piste est beaucoup plus agréable : suis-je arrivé au sommet? Pas tout à fait si j'en crois les cimes qui sont encore devant moi. Mais j'ai déjà gagné une belle vue sur la vallée!

Point de vue sur la vallée
C'est de là-bas qu'on vient?

Voilà plusieurs kilomètres que la piste est à flanc de montagne, sans monter ni descendre, sans avoir croisé le moindre signe de vie ou la moindre indication.
Finalement l'ascension reprend de plus belle, toujours 10-15% de pente dans la rocaille...je suis exténué, je n'ai plus de force. Et cette côte qui semble infinie... Je pense que je ne suis plus qu'à quelques kilomètres de la cascade, mais il faut penser au retour. Je peux très bien faire encore 10 ou 15km, mais c'est plus de 50km qu'il me faut déjà faire dans l'autre sens!
En plein milieu d'une côte je m'arrête et sans même prendre la peine de m'arrêter, je repars dans l'autre sens, frustré de passer si près du but.

Les 15km de descente sont effroyables : j'ai les jambes tétanisées, tremblantes ; le dos, les doigts et les épaules torturés par les impacts. J'ai l'impression de subir un par un tous les chocs de mon vélo sur les cailloux et je bataille contre les crampes et la fatigue pour garder le contrôle du vélo dans l'infinie succession des virages.
J'arrive à Sao Jose comme un zombie revenu d'entre les morts : je suis l'enveloppe corporelle d'un cycliste qui a été vidé de son contenu par la montagne. Je m'écroule dans un banc au soleil, mais mes jambes sont trop douloureuses pour rester immobiles. Je me traîne jusque dans un bar où je bois cul-sec plus d'un litre d'eau et de guarana, sous les yeux ahuris de la serveuse qui semble observer un extra-terrestre. J'imagine que la poussière orange collée à la sueur de tout mon corps a du me confectionner un déguisement assez impressionnant!

Rechargé et heureux de retrouver dans le bitume une surface plus "civilisée", je survole le retour, à plus de 25km/h, aussi inconsistant et véloce qu'un ectoplasme au-dessus de la lande écossaise.

Après 8h d'efforts, enfin sous la douche et baignant dans la boue orange de la piste, je me répète que PLUS JAMAIS je ne reprendrai cette route : trop dure, trop cassante, trop éprouvante...
(en espérant que cette incantation repoussera la terrible frustration d'être passé tout à côté du parc naturel!)

Retour à la maison
Sur la réserve, mais avec le booster!

Epilogue

Après vérification par satellite (plusieurs semaines plus tard), j'ai fait demi-tour à près de 10km de la cascade. Et si j'étais très prêt du sommet, il me restait encore plus de 800m de descente qu'il m'aurait été impossible à remonter au retour...Pas de quoi être frustré : terminer ce parcours était d'un autre niveau!

(À suivre...)