2012.12.09 - Revanche sur les 100km de Bananal

Un petit goût de Revanche dans l'air
Vous vous souvenez que j'avais "foiré" ma sortie autour de Bananal en Septembre? (Randonnée VTT dans la Pampa). Moi je m'en souviens bien : j'avais fini allongé sur le trottoir et c'est Jon qui m'avait récupéré à la petite cuillère, au milieu de nulle part.
Mise à part mon amour-propre de cycliste égratigné par l'échec de ne pas avoir pu rentrer à la maison tout seul, je regrettais de n'avoir pas pu achever ce joli parcours autour de Resende. Cette grande boucle que j'avais tracée sur le papier (GoogleMaps), je n'avais pas pu la concrétiser. Il ne me reste plus beaucoup de week-end avant la fin de ma mission au Brésil : c'est maintenant ou peut-être jamais!

Premiers coups de pédale
Départ au petit matin : le temps est frais (moins de 25°C), c'est assez exceptionnel pour la saison! Le ciel est couvert, mais difficile de savoir si ce sont réellement des nuages épais ou simplement les brumes d'humidité du matin. Le taux d'humidité, d'ailleurs, doit être proche de 80%, cela donne l'impression de pédaler dans un hammam!
Durant les premiers kilomètres, j'essaye de "mouliner" le plus possible, c'est-à-dire pédaler sans effort, juste pour "faire tourner les jambes". Jon a décidé qu'il ne me récupérerait pas en voiture cette fois-ci, mais me seconde à vélo. En réalité, depuis le départ il me devance et doit même m'attendre!

Jon au taquet

Brume et humidité
L'air saturé d'umidité semble poisseux, et colle au ciel en cachant le soleil.

De Resende à Arapei
De Resende à Arapei, c'est la descente vers le Sud : on ne fait que s'éloigner du point de départ, en empruntant un chemin que j'ai déjà parcouru 4 ou 5 fois. La piste est particulièrement cabossée sur les premiers kilomètres, et c'est de pire en pire depuis les quelques mois que nous l'utilisons. Comme dit l'expérimenté Steeve : les cailloux "cassent" nerveusement : les bras sont crispés jusqu'à la nuque, la colonne encaisse choc sur choc...la première heure on supporte, la seconde on souffle, la troisième on est nerveusement "abruti" de vibrations. J'essaye de m'économiser : chercher la trajectoire la moins "cassante" et rester détendu en profitant du paysage.

Passée la première heure, une petite pluie fine commence à tomber. Ce n'est pas désagréable, c'est même plutôt rafraîchissant! Rapidement, nous sommes ruisselants de sueur et perlés de fines gouttelettes de pluie. La couche nuageuse ne s'est pas levée : les nuages sont posés sur les collines. Tout est calme. Tout est immobile et silencieux autour de nous. Le décors qui nous entoure semble immuable, comme figé par l'humidité.
Sous nos roues également le terrain nous accroche avec une terre rouge, molle et lourde.

À Arapei, c'est l'heure d'une pause bien méritée : on a déjà près de 40km dans les jambes, avec un beau dénivelé. Ravitaillement en eau, Guarana et bananes : les batteries sont rechargées au troquet du coin!
Jon décide de revenir sur Resende par la route, pour clore un tour qui sera déjà bien chargé.
Je me sens beaucoup plus à l'aise que la dernière fois ; j'ai mieux géré mon effort, j'ai un ravitaillement suffisant et les conditions climatiques sont plus favorables : les indicateurs sont au vert pour continuer ma route vers Bananal et tenter de rentrer à Resende par la pampa!

Lourd!
L'air est lourd, la terre se colle aux pneus...la côte nous coûte une grosse suée.

Changement de vallée
De l'autre côté du versant, ce n'est pas plus dégagé, mais ça descend!

Descente!
Quelques images de Jon dans ma descente préférée, à flanc de colline.

Arapei à Bananal
Il y a dix-huit kilomètres de route entre Arapei et Bananal : dans chaque colline à passer, j'apprécie à quel point je suis plus "frais" que la fois précédente ; mais l'air est saturé d'eau, et dans chaque héctomètre en côte, je dégouline de sueur de la tête aux pieds.

Arrivé à Bananal, j'ai 1h d'avance sur la dernière fois et je sens que j'ai beaucoup plus d'énergie en réserve : je devrais passer le pont et pouvoir terminer sans problème!
D'après mes souvenirs de la vue satellite (2 mois plus tôt) le trajet entre Bananal et le pont effondré est très court : 20km au plus. Je devrais l'avaler en 1h environ. Et j'entame les premiers coups de pédale avec entrain sur la piste.

De mon précédent passage, j'ai gardé le souvenir d'un tronçon très isolé : presque pas de trace humaine dans le paysage, à peine quelques vaches et des enclos vides éparses.
A mesure que j'avance, je reconnais des éléments du trajet : cet arbre, ce virage, cette descente, cette vue, cette barrière...mais au lieu de me rassurer, je sens monter une sorte de malaise. Plus je m'enfonce dans ce paysage vierge, plus je me sens vulnérable, petit, perdu, presque une proie de cette jungle qui remplie l'espace autour de moi. Même le ciel, de plus en plus bas, me semble être le couvercle de ce piège.

Et puis, qu'est-ce qui m'a pris de revenir ici, seul, aussi démuni que la dernière fois? Parce que je sais que les événements vont se dérouler dans le même ordre : la piste découverte d'abord, qui donne de l'espoir ; les longues lignes droites solitaires ensuite, qui sèment le doute, puis les collines, qui épuisent....et enfin le piège : le pont effondré, devant lequel j'ai du renoncer, faute de pouvoir le franchir.
En me repassant ce film dans ce décor, la confiance que j'avais amenée jusqu'à Bananal fond comme neige au Brésil. J'en viens même à douter de mon orientation, alors qu'il n'y a qu'une seule piste et que je reconnais en permanence ce chemin déjà emprunté! Je ne suis plus sûr de rien...
Quelle solution ai-je apportée aujourd'hui pour me tirer de ces courants qui vont m'abîmer là où j'ai déjà échoué? Rien. J'ai eu l'audace de revenir au même endroit, dans les même conditions, en ne changeant rien. Je me livre aussi nu que la première fois.

Enfin Presque. Parce qu'entre mon abandon et aujourd'hui, j'ai bouclé 2 sorties de plus de 100km, dont la sortie extrême de la Bocaina. J'espère y avoir appris comment mieux m'alimenter dans la chaleur et mieux adapter mon rythme à mon état de fatigue. Et puis j'ai vérifié par satellite que ce point était bien sur mon trajet. Cela m'apporte la certitude que si je passe le point, je suis dans la bonne direction pour terminer cette boucle. Ça peut être un avantage psychologique décisif.
Donc j'ai bien un nouvel avantage depuis la dernière fois. Ce n'est peut-être pas aussi tangible qu'une baguette magique ou qu'un outil super-technologique, mais j'y crois. Alors en route!

On the road, alone
Une boussole, quelques gribouillages d'orientation et c'est re-parti pour l'aventure!

Wild South
Avant d'arriver à Banana : la densité de population est faible.

Au milieu de la brousse
Coup d'oeil en arrière : rien. Autour : la jungle et la pampa.

À l'approche du pont
En chemin -en pleine côte en fait- je repense à un reportage récemment vu, à propos du jeune coureur d'ultra-endurance Kilian Jornet : il y disait que la course en montagne est un moment privilégié où l'on se retrouve seul face à la montagne. C'est effectivement ce que je viens chercher aujourd'hui comme souvent : je viens humblement dans la Nature, sans armes ; non pas pour m'y confronter, mais pour échanger avec Elle. Je l'admire, elle me recharge.

Mais derrière la Nature, c'est nous-même que nous venons chercher. Ces moments où nous sommes tous entier dédiés à la Nature, nous en profitons pour nous écouter comme jamais. L'effort intense amplifie tout ce qui ne va pas dans notre corps et dans nos pensées. Faire 4, 6, 10h d'effort, c'est autant de profondeur pour sonder jusqu'à notre substantifique moelle. Loin du quotidien, loin de tout et de tous, la Nature nous fournit cette bulle qui nous permet de déambuler consciemment, au gré du souffle de notre respiration.

Ma respiration, justement est un peu saccadée depuis quelques kilomètres. La fatigue ou l'angoisse du pont? À chaque virage, je crois reconnaître ma route, mais à chaque fois je suis trompé et le chemin se poursuit. Je suis inquiet d'avoir passé autant de temps sur ce tronçon : cela fait au moins 2h que je pédale depuis Bananal! Un rapide coup d'oeil à ma montre me confirme que pour une raison ou pour une autre, j'ai perdu la notion du temps : j'étais à Bananal il y a moins d'une heure.

Pas trop rassuré?

Enfin
Une dernière courbe -qu'il me semble encore reconnaître- et enfin, voilà le pont! Enfin ce qu'il en reste... En connaisseur, je dépose mon vélo à quelques mètres du trou et m'approche pour trouver un point d'accès. Mais au premier coup d'oeil, mon estomac se serre : ce n'est pas réellement haut, mais conformément à ma dernière visite, la descente n'est absolument pas évidente : la paroi est légèrement en dévers, donc sans prises.

Le saut est risqué : les débris en béton qui jonchent le lit du ruisseau pourraient me tordre la cheville facilement. Une seconde, l'idée de faire demi-tour me traverse l'esprit ; mais immédiatement j'empoigne mon vélo et commence à le glisser dans le trou. Une fois le vélo tombé, je serai acculé et n'aurai d'autre solution que de trouver le moyen de m'y jeter moi-même. Aussi pensé, aussitôt fait : je lâche le vélo du bout du bras, en essayant de ne pas envoyer la suspension ou les rayons sur des blocs de béton. Voilà, mon moyen de transport est au fond, à moi d'y aller : allongé dans les herbes, je laisse pendre mes jambes dans le vide, puis glisse jusqu'aux aisselles. Toujours pas de prise pour les pieds : je m'agrippe à des touffes d'herbes pendant que le bord en terre s'effrite. Du bout du pied, je tape contre la paroi pour me faire une prise: ça a l'air de tenir. Je lâche finalement l'herbe, abandonnant définitivement ma rive, et termine accroupi et repeint de terre rouge, au bord du lit asseché. Ça y est! J'y suis!
La traversée et la remontée sur l'autre rive sont incomparablement plus aisées que la descente. Quelques minutes plus tard, je savoure déjà ma réussite, alors que mes muscles sont endoloris de crispation et mes bras sont rougis par l'irritation des herbes hautes.

Un autre trajet commence maintenant : il faut découvrir ce nouveau tronçon et s'y orienter. J'ai encore une grande distance à parcourir avant de retrouver un chemin connu, plusieurs heures de collines avant de rentrer à la maison. En selle!

Au pied du mur? (ou presque)
Peut-être qu'avec un peu d'élan?

Pied de nez
Sauter du premier étage avec un vélo n'est pas aisé, mais maintenant c'est le moment de faire un joli pied-de-nez au ravin!

Orientation (ou comment revenir à la maison)

Maintenant que j'ai passé le principal obstacle du parcours, il faut arriver à suivre le bon chemin. Et ce n'est pas du tout évident lorsque la piste n'a pas été utilisé depuis plusieurs mois. Par endroit, elle se perd dans les herbes hautes et devient un discret "single track" qu'il faut imaginer plus que suivre. Plusieurs fois j'hésite, m'arrête et me décide au jugé.
À chaque fois, je retrouve un peu plus loin des tronçons plus larges qui me confirment que je ne suis pas complètement perdu dans la brousse. Mais à la première intersection, je suis perdu : ma piste-chemin rattrape une piste principale dans une épingle. À gauche en montant ou à droite en descendant? Mes jambes me disent à droite, ma boussole veut aller à gauche, et ma carte? Je n'ai pas repéré le pont sur mes notes de parcours, et avant d'arriver au pont je me suis guidé de mémoire, donc je suis complètement perdu dans mes notes, à 20km près....Bravo!
Puisque ça a l'air de fonctionner depuis le début : je fais à l'instinct : direction Nord-Ouest, à gauche!

Un gros kilomètre plus loin, une deuxième intersection ne correspond pas vraiment à mes notes : je re-tente un coup au pif et heureusement je tombe rapidement sur un cul-de-sac. Heureusement, parce que la campagne est quadrillée de ces petits chemins, dont la plupart mènent à des fermes isolées ou tournent en rond autour des paturages. Je ne me souviens que grossièrement de la vue satellite de la zone, et je me souviens surtout que trouver un itinéraire parmi tous ces chemins ne fut pas aisé ; je ne m'en sortirai pas tout seul. Soit je retombe sur mes pattes, soit je demande de l'aide.

Je retourne au fond au premier cul-de-sac et l'aide ne vient pas des chiens agressifs qui m'obligent à mettre mon vélo en barrière, mais de l'aimable occupante qui me revoit à la première intersection. Une fois là-bas, je ne sais toujours pas où j'en suis de mes notes, mais il semble qu'il faille suivre l'autre direction.
Autre intersection : encore perdu...rien ne colle avec mes notes, même en cherchant un peu plus loin dans le parcours. Pour pimenter un peu la situation, ma boussole se comporte un peu bizarrement depuis ce matin, et cela ne m'aide pas.
Je m'engage Nord-Ouest, mais finalement la boussole se ravise et indique Sud-Ouest. Un frisson me traverse le dos et un sang épais tape dans mes tempes : avec la fatigue, les nerfs sont à fleur de peau. L'inquiétude vire rapidement à l'angoisse. L'isolement total et la chaleur augmentent encore la pression de l'étau.
Une gorgée d'eau, un peu de sucre, une grande respiration ... et je me plonge une énième fois dans mes notes de parcours, à la recherche de quelque chose qui correspondrait à mon parcours réel.

Trop bête : depuis tout à l'heure je regarde mes notes en étant persuadé que j'ai loupé des indications depuis la dernière marque ; alors que je n'ai fait que suivre un chemin unique. En reprenant mes indications là où je m'étais arrêté, tout correspond!
J'avais regardé plus loin dans le parcours, alors qu'i fallait commencer par regarder en arrière! Enfin convaincu que je suis sur le chemin que je cherche, je pédale de plus belle!

Encore des collines, des côtes, quelques descentes, de la poussière, un peu de sable, pas mal de boue...le chemin continue dans une zone qui semble réellement vide de vie humaine. Et lorsque j'approche de quelque chose qui semble habité, je me retrouve poursuivi par trois chiens qui me courent comme un lapin, avec les babines retroussées et l'air enragés. Englué dans la boue, les jambes raidies par 6h d'efforts, je ne peux pas accélérer pour les semer et je suis obligé de pousser un cri animal pour les arrêter avant qu'ils me mordent.

Jusqu'au dernier kilomètre, la brousse m'offre des petits cadeaux, une sorte de sortie VTT de Noël pour clore une année 2012 exceptionnelle de découvertes à deux roues : alors que je suis aux portes de Resende, je manque d'écraser un gros insecte. J'arrête le vélo deux mètres m plus loin et dégaine l'appareil photo : c'est un belle araignée, bien velue et de loin la plus grosse que j'ai eu l'occasion de voir. J'hésite à l'approcher, mais elle a l'air occupée à tracer son chemin ; j'en profite pour prendre cette photo, juste après avoir déposé mon téléphone devant elle, pour se rendre compte de la taille.

Après un peu moins de 7h de piste, je retrouve du bitume et glisse jusqu'à la maison, complètement fourbu mais avec un sourire béa!

Nouveau chemin
Bizarrement, ce côté du pont n'est pas très emprunté : il faut rester vigilant pour le pas louper la piste.

Tarentule?
Le corps de la belle faisant la taille de mon pouce...
(Des amateurs reconnaissent le specimen?)