2013-09-01 : Rando sur la Muraille
Retour sur la Muraille ?
Déjà sept mois se sont écoulés depuis mon premier pas en Chine...et je n'ai pas encore été faire le touriste sur la Grande Muraille! J'imagine que beaucoup de curieux font le voyage depuis la France avec l'objectif de voir cette fameuse Muraille ; pour toutes les agences de voyage, le détours par la Muraille est certainement un impératif. Pas de Chine sans Muraille!
Pourtant je ne suis pas spécialement attiré par la visite touristique : marcher 3 kilomètres sur un mur rénové et blindé de touristes ne révélera sûrement pas l'authenticité et la magie du lieu.

En mai dernier, j'avais eu l'occasion de goûter aux paysages de la Muraille en courant le "Great Wall Marathon". Après une grosse dizaine de kilomètres parcourus sur les pavés, j'étais convaincu que l'ouvrage gigantesque devait avoir été un projet colossal, dont l'envergure donne le tournis ; preuve évidente de l'ambition et de la capacité du peuple chinois pendant un millénaire. Après cette rencontre unique, j'ai voulu conserver un souvenir quasi mystique du "monument" ; le transformer en attraction touristique en aurait égratigné l'aura magique qui entoure mes souvenirs. Il me fallait de l'authenticité, de la pierre effritée par les rondes incessantes, des créneaux à demi-effondrés qui ont vu des générations d'archers s'y appuyer, des tours de guet qui sentent encore l'humidité et l'odeur de la peur des veilleurs imprégnée dans les murs pendant les nuits d'hiver trop longues et trop sombres. Il me fallait un cadre grandiose ; j'avais été subjugué par les onctueuses reptations animales de ces briques empilées, je voulais encore une fois me retrouver enfoui entre deux collines ou au-dessus de tous les sommets alentours. Je voulais voir le Mur minuscule dans le théâtre de la nature, mais invincible et infini. Et puis il me fallait la parcourir cette muraille : user de mes pieds et de mes mains pour en sentir tout le paradoxe. C'est une construction humaine à l'échelle de nos pas : 6 mètres de hauts, 3 mètres de large...idéal pour marcher à deux personnes de front. Idéal à l'échelle des pas de l'Homme. Mais une fois en haut de la colline, une fois que le regard s'est perdu dans les incessants remous, une fois que la vue ne distingue plus si la Muraille a disparut derrière une haute montagne ou dans le flanc d'une colline, alors seulement l'humain réalise à quel point le chemin qu'il foule aisément est d'une dimension qui le dépasse, d'une nature qui rivalise avec les montagnes, mais pas avec les Hommes. Ressentir la Muraille à taille humaine sous les pas et en percevoir la grandeur mystique en promenant le regard sur l'horizon.

L'authenticité, la nature et l'expression mystique : des exigences difficiles à combiner!

Un sac à dos, et en route!
La semaine précédente, alors que nous voulions profiter d'un jour de congé pour passer 3 jours à Pékin, nous avons vu notre périple s'arrêter à la gare de Shenyang, faute de place dans le train de Beijing. La semaine suivante fut la bonne : sortis du travail à 17h, nous partions à Beijing par le train de 18h30 et 850km plus tard nous arrivions à l'hotel, à quelques rues de la Cité Interdite.
J'avais repéré sur un site internet un parcours qui semblait peu touristique, mais les indications n'étaient pas extrêmement précises et dataient de 3 ans (c'est peu, mais à l'échelle du développement actuel de la Chine, c'est assez pour qu'une nouvelle ville s'y soit installée). Des informations pas assez précises, donc, pour que deux français ne baragouinant que très peu le chinois ne s'y retrouvent sans peine. À une heure du matin, Jon et moi étions encore en train de faire du repérage satellite pour trouver le point de départ du parcours et les connections en bus pour s'y rendre.
Levés à 5h30, premier métro, puis bus jusqu'à HuaiRou, à 45 km au Nord de la Capitale. Après avoir un peu bataillé sans résultat pour trouver un bus sur place, nous engageons un chauffeur pour qu'il nous amène à quelques 40km à l'Ouest de la ville, dans les collines.
On est n'est pas bien sûrs de notre coup ; on se demande même s'il ne va pas nous amener dans un autre site, complètement différent. La communication est laborieuse : nous ne comprenons que certains mots très basiques, notre prononciation est désastreuse, l'anglais n'est d'aucun secours et la carte du chauffeur (il a une carte, miracle!) est écrite en caractères chinois... Heureusement, le paysage qui défile aux fenêtres du mini-van plante un décors agréable : les collines rocailleuses sont recouvertes d'un duvet dense d'arbustes mi-plantés, mi-sauvages. Le soleil est déjà haut dans le ciel et diffuse une lumière claire dans un ciel cristallin...une exception dans la région de Beijing, habituellement embrumée d'humidité et/ou de pollution ("fog" &"smog").
L'aventure commence sous des hospices favorables!

Chasse au Trésor
Dans le bus, je relis pour la énième fois les indications du site internet : il n'est pas question de direction ou de nom de route, mais simplement du nom d'un petit village (que le chauffeur ne connaissait pas) et de la description d'éléments sur la route (un panneau, un portique d'entrée, ...). Par chance, j'ai reconnu un caractère du nom du village sur la carte du chauffeur, nous lui avons demandé de rouler dans cette direction. Il faut maintenant repérer les autres indices pour trouver le départ du chemin, au risque de se retrouver avec tous les autres touristes. C'est une petite chasse au trésor!
Alors que les collines gonflaient autour de nous, que la route semblait s'enfoncer plus profondément dans les vallons clairs, nous l'avons aperçue. Elle était éclatante de lumière sous le soleil du matin, dans un contraste net avec le velours vert des collines. La Muraille, de loin, nous guettait déjà, déployant ses longs anneaux autour de nous.
D'un seul coup, la chasse au trésor perdait de l'importance : ce que nous étions venus chercher, ce n'était pas tant la rando que la rencontre majestueuse entre la roche amoncelée de la Nature et la pierre empilée des Hommes.
Le chauffeur ralenti : il nous indique le nom du village sur un grand portique : c'est ça! Nous y sommes!
Après avoir acheté plusieurs bouteilles d'eau et des gateaux secs dans une épicerie du siècle dernier, sous l'oeil bienveillant de Mao, nous nous mettons en route. Le chemin n'est pas difficile à trouver : il s'agit de monter dans la colline jusqu'à rencontrer un mur. Le relief n'est pas haut mais abrupt ; les flancs de colline qui semblaient verdoyants de loin sont en fait rocailleux et secs. Le bruit des grillons est presque assourdissants ; l'odeur fraîche des oliviers et des châtaigniers nous transporte presque jusque dans le Midi français, on s'attend à croiser Marcel Pagnol à chaque virage. C'est un groupe de chinois que nous croisons : cinq ou six personnes qui descendent alors que nous montons. Nous n'en croiserons plus avant plusieurs heures.

Un peu essoufflés par cette montée matinale, nous arrivons enfin au pied du mur. Une question évidente nous traverse l'esprit : "comment monte-t-on?". Parce que s'il semble bas et rabougris au milieu des arbres, le mur mesure tout de même six mètres de haut. pas question d'escalader deux étages sur des pierres instables! Un petit chemin met fin à nos tergiversations et nous mène directement à un escalier d'accès. Pendant un instant, nous étions prisonniers du Mur, comme on du l'être beaucoup de hordes et de régiments venant du Nord, longtemps avant nous.

Maintenant que nous sommes sur la Muraille, je vous laisse découvrir notre marche en images.

Au pied du Mur

Au pied de la Muraille, rien ne semble moins aisé que d'y grimper

Dans le Mur

À intervalles, des accès à la muraille sont aménagés. On a alors l'impression d'être "dans" le mur.

Ligne de crête

Devant nous, le tracé du Mur suit très exactement la ligne de crête des collines.

L'arrête du paysage

Dans certains endroits, le mur est endommagé : il ne reste plus rien des créneaux et le large chemin de ronde est réduit à quelques semelles de large. La Muraille est souvent montrée comme une maçonnerie parfaitement lisse, aux jointures ajustées. C'était sûrement le cas lors de sa construction, et ce n'est encore visible aujourd'hui uniquement sur les tronçons restaurés. Les constructions originales sont grignotées par la végétation et l'existence d'un chemin n'est dû qu'au passage régulier des visiteurs.
Aujourd'hui, ce que la végétation cache, c'est plusieurs mètres de vide de chaque côté du chemin!

Dans les pas de l'Histoire

Au milieu des buissons, sous nos pas, le chemin n'est pas une quelconque terre battue : ce sont les mêmes pierres qui ont été taillés et scellées il y a quatre siècles ; nous mettons nos pas dans ceux qui nous ont précédés, il y a près de 400ans!

Tour de garde

S'élevant massivement de plusieurs mètres au-dessus du Mur, les tours marquent des points de passage comme le sommet d'une colline.

Dans la Tour

Ouvertes aux quatre vents, les tours devaient être glaciales en hiver. Aujourd'hui, sous le soleil chaud, elles nous offrent un peu de fraîcheur et une vue sur les collines.

Comme une colonne vertébrale dans le paysage


Voie verte

En sortant de la tour, un tapis vert est déroulé devant nous.
Tout autour, l'air est calme. J'ai l'impression d'avoir quitté la terre ferme et de marcher sur un nuage vert, en suivant ses contours arrondis.
Élevée sur les crêtes et surpassant la végétation, la Muraille transmet à qui l'arpente la sensation de s'élever.

Garrigue

Au loin, cette tour semble presque isolée au sommet de sa colline, mais elle est belle est bien reliée au tracé de la muraille par un bras annexe.
En face de nous, les montagnes qui nous dominent nous transportent dans un lieu étrange : l'air est doux, les cigales s'en donnent à coeur joie, les oliviers s'épanouissent sous le soleil chaud ; ces rochers, ces montagnes : on se croirait presque...dans l'arrière pays provençal! Dans l'Esterel!

Mur ou chemin?

Un mur est communément une ligne qui interdit un franchissement ; cela a été le rôle de la Muraille de Chine pendant des siècles. Aujourd'hui, paradoxalement, le mur n'est pas un obstacle, mais l'inverse : un chemin, une passerelle qui nous permet de traverser ces paysages escarpés.
Admirable reconversion!

Rando

La nature s'est approprié le chemin de ronde, mais la Muraille maintient fièrement son tracé dans le paysage.

Grandeur

Depuis le début de la marche, j'essaie de prendre des photos qui rendent compte des dimensions pharaoniques (l'adjectif est très déplacé) de la construction. Seulement voilà : les grandeurs sont disproportionnées, la longueur est démesurée par rapport à la largeur et à la hauteur, qui n'en sont pas moins impressionnantes. Pas facile donc, de rendre tout cela d'un seul cliché.
C'est d'ailleurs l'occasion de faire une petite précision : la muraille de Chine n'est pas visible depuis la Lune! Il semblerait que cette légende soit née en Angleterre au XVIII siècle, mais depuis, les scientifiques ont montré qu'il était impossible de discerner un édifice de 6m de large depuis la Lune. Il semblerait néanmoins qu'avec un soleil rasant et depuis une orbite basse (~300km, soit mille fois moins loin que la Lune), on puisse la distinguer (source:internet qui cite des gars qui ont été dans l'espace.)
Je n'ai certes pas eu l'occasion de vérifier moi-même si l'on voyait la Muraille depuis la Lune, mais je peux vous affirmer que depuis la Muraille, on voit la Lune!
Depuis la Muraille, on prend surtout la mesure de la démesure. J'aime cette photo : la muraille dévale de la droite, grimpe souplement sur la colline et disparaît sur l'autre versant. La longueur n'est que suggérée, alors que sa section apparait massive entre les arbres.

Dernière tour

Ça y est, nous atteignons la dernière tour de notre parcours. Mais avant de commencer la descente, nous voulons escalader le poste de garde pour profiter de la vue alentour.

Lac Huang Hua

Juste devant nous, la Muraille passe au bord du lac "Huang Hua" (Fleur Jaune, en référence aux fleurs qui bordent le lac au printemps). La muraille fait même mieux que de passer au bord : c'est un des seuls endroits où l'on peut voir la muraille sous l'eau ! En effet, un barrage récent inonde un bras de muraille ; ce bout de muraille submergé est devenu l'attraction de cette section de la muraille. Pour notre plus grand bonheur aujourd'hui, tous les touristes (uniquement chinois dans cette zone) sont massés sur le tronçon restauré de quelques centaines de mètres qui bordent le lac, et personne ne vient marcher sur les vieilles pierres de l'authentique muraille.

Dernier coup d'oeil

Dernier coup d'oeil vers la "Muraille verte", merveilleux chemin à travers le temps et les collines.

Vertigineuse descente

Le denivelé est impressionnant, et pourtant la Muraille semble s'en accomoder parfaitement. Ce que cache la végétation, c'est une amas de rocaille instable qui ne demande qu'un coup de talon pour rouler sous la semelle.

Équilibre

Si les couchent supérieures s'effritent un peu, les fondations, elles, semblent solidement arrimées aux roches, formant des angles impressionnants. Que penser des constructeurs de l'époque? Des maîtres d'œuvre qui ont fait acheminer ces monstrueuses dalles jusqu'au sommet, qui les ont scellées à flanc de roche et ont continuer à empiler les blocs de manière à les faire tenir debout pendant des siècles...

Constructeurs contorsionistes

Mesdames et messieurs, admirez les contorsions de la construction, les virages, les élévations, tantôt linéaires, tantôt en escalier! Admirez les artistes constructeurs!
Jon et moi marchons espacés d'une vingtaine de mètres, pour éviter qu'une pierre décrochée ne vienne blesser celui qui marche en avant. Malgré nos pas vigilants, une grosse pierre se décroche sous nos pas et commence à rouler. Elle roule sur le côté de la muraille, quitte la muraille et tombe dans la végétation. Malheureusement, elle est tellement lourde que les arbustes ne l'arrêtent pas : elle continue de dévaler la pente encore et encore... Jon et moi nous sommes figés dans l'instant, horrifiés d'entendre la pierre dégringoler la pente vers les bords du lac, où peut-être d'autres touristes randonnent à flanc de colline. Avec un tel poids, le choc serait fatal! Lorsqu'après de très longues secondes le bruit sourd des chocs irréguliers semble s'être interrompu, nous expirons un grand coup. Mais la menace n'est pas écartée et à chaque pas nous redoublons de vigilance : un mauvais pas pourrait nous envoyer rouler comme la pierre.

Vestiges merveilleux

En regardant ce vestige de tour trôner au milieu des montagnes, je me suis rappelé, 20 ans plus tôt (gamin donc), une visite d'un château cathare, dans le Sud de la France. Je ne me souviens que de ruines, mais j'avais perçu qu'il y avait quelque chose de grandiose dans la scène. Ce panorama est également grandiose : ces montagnes serrées donnent une densité à l'espace. La vue porte loin, et pourtant, quelle densité! L'échelle du temps est elle aussi sublimée par ces pierres empilées avec génie, qui témoignent avec force et élégance de siècles passés.
Quatre heures. C'est le temps qu'il nous a fallu pour parcours moins de dix kilomètres en lambinant. Combien de temps nous faudrait-il pour suivre l'intégralité de ce tronçon? Des jours? Des semaines?
Ici, les échelles du temps et de l'espace dépassent les mesures ordinaires de l'Homme ; c'est sûrement en cela que le lieu est grandiose.